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09/01/2011

Un article à lire pour les amateurs du sport propre

"Bordry a jeté l'éponge

Fier d'avoir placé la France en tête de la lutte antidopage, Pierre Bordry porte un regard fataliste sur la chute de la volonté politique qui l'a poussé à quitter la présidence de l'AFLD.

Lassé de se battre chaque année pour conserver son budget (pourtant famélique, avec 8 millions d'euros), Pierre Bordry a choisi de démissionner de l'AFLD à l'automne dernier.

 

Son mandat à la tête de l'Agence Française de Lutte contre le dopage aurait dû s'arrêter en juillet 2011, mais, à 71 ans, Pierre Bordry a décidé d'anticiper les choses en démissionnant de son poste le 25 septembre dernier. Ce départ a pu sembler anecdotique pour le grand public. Il ne l'est pourtant pas. Car en six ans à la tête du CPLD devenue AFLD, Pierre Bordry aura laissé son empreinte dans la lutte antidopage, marquée par une présence médiatique et une efficacité incontestables. Il quitte une agence considérée comme la meilleure du monde par l'Agence Mondiale Antidopage (AMA).

 

« Sud Ouest Dimanche ». Pourquoi avez-vous démissionné de la présidence de l'AFLD ?

Pierre Bordry. Je suis parti parce que les services du ministère des sports passaient beaucoup de temps à compliquer la tâche de l'Agence. Pour le budget 2010, c'est-à-dire fin 2009, Rama Yade a déposé un amendement devant le Sénat qui diminuait de moitié notre budget, et comme les parlementaires ont protesté, elle a finalement promis de donner cette somme sur son propre budget du ministère. Mais quand est arrivé le mois de janvier, ses services nous ont expliqué qu'on nous versait la première moitié, mais que pour l'autre, ce n'était pas sûr. J'ai donc protesté vigoureusement… ce qui a fortement fâché Mme Yade, qui a versé l'argent. Si je n'avais pas parlé à la presse je crois qu'elle ne l'aurait pas fait. En septembre 2010, on m'a fait comprendre que cette fois je n'aurais pas gain de cause pour le budget 2011. J'ai donc démissionné. Devoir pleurer chaque année pour obtenir un budget est contraire à l'idée d'indépendance que doit avoir notre agence.

Pourquoi est-ce si difficile de lutter contre le dopage en France ?

À l'époque de la loi Buffet en 1999, la lutte antidopage était vigoureuse. Les contrôles organisés par le ministère des sports étaient alors faits sur le territoire français quelle que soit la compétition, nationale ou internationale.

Mais on est passé à un autre système avec l'arrivée de Jean-François Lamour au ministère des sports.

On a créé une superbe « haute autorité publique indépendante », mais on lui a enlevé les contrôles internationaux sur le territoire national.

 

Serait-ce à dire qu'on a privilégié la communication à l'efficacité ?

Je vous laisse juge…

Pourquoi la France a-t-elle voulu ralentir sur la lutte antidopage ?

En 2005, quand Lamour a déposé la loi, il luttait pour avoir les JO (2012) à Paris (NDLR : finalement obtenus par Londres). Il a donc lâché un maximum pour les fédérations internationales sur le territoire français. Et puis parallèlement, le gouvernement et même Lamour ont appuyé toutes les démarches internationales pour que l'Agence Mondiale Antidopage (AMA) laisse une place aux fédérations internationales. À mon avis, il y a donc eu pression des fédérations internationales pour pouvoir diriger elles-mêmes les contrôles et les sanctions.

Votre mandat aura été marqué par la pêche miraculeuse de l'AFLD sur le Tour de France 2008 (Ricco, Schumacher, Khol…).

Les coureurs avaient manifestement l'habitude de pouvoir s'arranger avec les contrôles… Cette démonstration nous a mis à part. Visiblement, cela gênait. On aurait préféré que l'on trouve moins de tricheurs et que l'on n'en parle pas. En réalité cela a beaucoup aidé les agences antidopage des autres pays, qui commençaient à agir. On a, par cette action, montré qu'il y avait un contrepoids aux fédérations internationales.

Cette démonstration a aussi prouvé qu'on ne recherche pas toujours les tricheurs avec la même motivation ni la même efficacité. Était-ce une victoire pour vous ?

C'était surtout une grande tristesse. Par la suite, nous n'avons plus vraiment eu la main sur les contrôles. Mais dans un rôle d'observateurs, nous avons décelé plusieurs anomalies sur le Tour 2009. En 2010, ce sont carrément des observateurs de l'AMA qui ont décelé une cinquantaine d'anomalies dans les contrôles réalisés par l'Union Cycliste Internationale (UCI). Alors, quand elle clame qu'elle est la fédération internationale qui réalise le plus de contrôles, l'UCI ne ment pas. Mais la question de sa méthode reste posée.

La lutte contre le dopage intéresse-t-elle vraiment le public ?

Les gens ont marqué un intérêt pour ça. On l'a ressenti par les parlementaires, qui sont très représentatifs du peuple. Ils ont toujours, de façon constante et de façon pluraliste, encouragé l'AFLD. Preuve que la lutte antidopage est un problème de société. Les gens se posent des questions. Les parents s'inquiètent pour la santé de leurs enfants. À juste titre d'ailleurs. Car les gamins peuvent se procurer des produits trafiqués par internet. Il y a un vrai trafic organisé. Il faut que les éducateurs et les parents soient très attentifs.

Pourquoi le cyclisme est-il à ce point estampillé sport de dopés ?

Peut-être parce que la presse a surtout relevé les cas dans le cyclisme. Le cyclisme est très populaire…

On a du mal à croire qu'il n'y ait pas de dopage lourd dans les autres sports.

Vous avez raison. Il y en a sûrement. Mais le problème ce sont les moyens dont peuvent disposer certains pour se doper et échapper aux contrôles et à l'analyse positive du contrôle. Il peut y avoir plus de moyens dans d'autres disciplines.

Comme dans le football ?

On ne peut pas non plus trop en vouloir au football… tant qu'on n'a pas trouvé.

Pourquoi ne trouve-t-on pas ?

Il y a peut-être un problème de qualité des réseaux d'informations. On parle d'avantage dans le cyclisme. Il y a peut-être également des spécialistes du dopage qui savent comment passer à travers les mailles. Bien conseillé, un sportif peut prendre des substances qui disparaissent rapidement de l'organisme. Le système de contrôle et d'analyse a donc besoin d'être amélioré au niveau mondial. On y vient progressivement. Notamment avec les signes indirects de dopage. Le problème c'est que pour déclarer quelqu'un positif il faut trouver quel produit il a pris et à quel moment de façon précise. On va forcément y arriver, car la médecine fait des progrès, la toxicologie aussi. Il faudra des signes objectifs. Car ensuite, il faudra prouver devant le tribunal qu'un athlète est dopé ou qu'il ne l'est pas. Il faut que les méthodes et les techniques soient les meilleures possibles, et incontestables, car de plus en plus, les sportifs se battent sur la procédure d'avantage que sur le fond.

Pourquoi les disciplines sont-elles traitées aussi différemment ? Un cycliste peut être réveillé à 6 heures du matin, c'est inimaginable en football…

Il faut une autorité forte, qui n'hésite pas à dire : vous ne voulez pas que les contrôleurs viennent ? C'est sans doute qu'il y a une raison. Et s'il n'y en a pas, laissez les venir.

Votre départ est-il celui d'un emmerdeur pour le monde du sport ?

Un emmerdeur ? Je m'en fous. Il y a une loi, il faut l'appliquer. Sinon autant changer la loi. Moi je n'ai pas d'états d'âme."